Le prix Alain Bosquet 2021
Isabelle Gallimard et les membres du jury ont procédé à la remise du prix Alain Bosquet 2021 le 7 décembre aux Editions Gallimard. Le jury : Isabelle Gallimard, Claudine Helft, Venus Khoury-Ghata, Guy Goffette, Hervé-Pierre Lambert, Jean Orizet et Lionel Ray.
Le prix a été décerné à Gérard Le Gouic pour son livre plus élogieux Exercices d’ incroyances. Le prix Alain Bosquet Étranger 2021 a été attribué a Laura Kasischke pour son recueil de poésie Où sont-ils maintenant, et le prix de traduction à Sylvie Doizelet. Vous pouvez consulter le site web de la maison d’édition pour plus d’informations sur le livres et ses auteurs : Gallimard.fr
Mots prononcés à l’occasion de la remise du Prix par Gérard Le Gouic :
Je remercie a-greiz kalon, comme on dit en Bretagne, c’est-à-dire du fond du cœur, la Présidente du Prix Alain Bosquet, Mme Isabelle Gallimard ainsi que les membres du jury qui l’entouraient.
Je remercie aussi les membres du Comité de lecture des éditions; qui ont permis la réalisation de mon ouvrage. Ils sont anonymes mais quelques-uns sont peut-être présents ce soir.
Une voix, non anonyme celle-là, aux inflexions chantantes, je l’entends à mon oreille, c’est celle d’Alain Bosquet : » Vous avez eu raison, mon cher Le Gouic, de persévérer comme je vous y engageais à la réception de votre recueil au titre étrange: Dieu-le-Douze. Sur celui-ci, un mot d’explication: les rois portaient des numéros de série, si je puis dire, pourquoi pas les dieux? «
Sur la recommandation d’un ami commun, Charles Le Quintrec qui composerait plus tar le Alain Bosquet dans la célèbre collection Poètes d’aujourd’hui chez Seghers, je lui avais adressé, rue de Penthièvre, mon troisième recueil. J’avais vingt-six ans et je vivais depuis trois ans en Afrique équatoriale. J’étais employé, en cette année 1962, par une entreprise de transport et de transit. Je n’ étais pas un employé modèle. J’effectuais ma tâche et rien de plus, pas une minute supplémentaire, du moins pas des heures comme beaucoup qui n’ avaient rien à bâtir. Ma véritable journée de travail commençait, en effet, lorsque je quittais les locaux de la TCOT pour rejoindre ma case c’est ainsi qu’on nommait son logis, fut-il dans les étages d’un immeuble. Sur ma table m’ attendaient les feuilles sur lesquelles je peinerais à consigner les notes désaccordées d’une musique qui me visitaient déjà sur mon lieu de travail. On a commenté longtemps que j’étais un poète sans musique. Peut-être. Mais qu’étaient-ce ces mélodies, ces chants, ces rythmes, que je percevais ? Je ne me souciais pas de musicalité, mais de l’assemblage des mots surtout s’ils ne s’alliaient pas naturellement. Alain Bosquet y fut sensible. Dans sa Chronique de poésie qu’il alimentait dans le quotidien Combat, il s’était arrêt à mon Dieu-le-Douze, à la suite de ce qu’il avait consacré à Christine de Pisan, Marcelin Pleynet, Michel Manoll et Rouben Mélik. » Qui est Gérard Le Gouic ? « , commençai t-il et j’aurais été bien en peine de l’éclairer, même aujourd’hui. Il continuait : » Du Tchad il m’envoie une plaquette bien étonnante qui contient d’extraordinaires raccourcis « . Ce qui était extraordinaire c’est qu’il l’avait remarqués. Il m’aiderait, par la même occasion, à comprendre ce que j’avais écrit, c’est souvent le cas. Il terminait, après quelques citations, par » On demande à lire d’autres poèmes de Gérard Le Gouic » Il me condamnait à une suite que j’avais déjà commencée. L’article était daté du 12 avril 1962. Il y aura bientôt soixante ans.
Nos relations étaient amorcées, par épisodes, je ne suis pas un harceleur. Dans un article du Monde d’ août 1967, je résidais alors en Centrafrique, qu’il consacrait aux poètes français, il avait incité ses lecteurs “à suivre, en plus des noms cités , ceux de Marc Pietri, Vera Feyder, Claude de Burine, Jacques Garelli » et votre serviteur tout ébahi, et très heureux, de partager ces moments avec vous.Je ne vous raconterais pas, bien évidemment, ces satisfactions personnelles si je n’étais pas le lauréat 1u prix qui porte le nom de celui que je considère comme l’un de mes premiers bienfaiteurs en poésie, avec Louis Guillaume et Charles Le Quintrec.
Alain Bosquet n’était pas que poète, romancier, critique et journaliste littéraire, il était aussi polémiste, si je puis employez le mot, et j’ai souvent partagé ses options, ses partis pris, quand il déclarait, par exemple, que la poésie est dans le poème et nulle part ailleurs ; quand il s’était indigné lorsque l’Académie française avait décerné son Grand Prix de Poésie à Georges Brassens. » Pourquoi pas à Fernandel ? » , avait-il titré son article dans Combat du 10 juin 1967, Fernandel ne chantait-il pas aussi? L’ Académie se vengerait en lui attribuant son Grand Prix l’année suivante.
Un mot pour exprimer une pensée affectueuse en direction de mon professeur de français au Collège Lavoisier: Maurice Pombeure qui publia son oeuvre dans cette noble maison. L’un de mes condisciples dans sa classe s’appelait Jacques Gallimard. Nous étions trois Gallimard, en quelque sorte : Pombeure, Jacques et moi en puissance jusqu’ en 1984, date de ma première parution dans La Nouvelle Revue Française, sous la direction alors de Georges Lambriche, puis dans des livraisons dirigées par Jacques Réda.
Je veux saluer aussi la mémoire d’Henri Thomas qui fut l’un des écrivains phare de cette maison. Il m’accorda son amitié pendant les vingt dernières années de sa vie, qui se termina loin de l’ile d’Houat qu’il chérissait. » Ma pauvre île « , disait-il.
Pour terminer sur une marche plus élevée que celle de mes souvenirs lointains et personnels, je vais vous lire un poème plein de musique, celle de la pluie, extrait du Deuxième Testament d’ Alain Bosquet. Il me l’avait envoyé avec cette dédicace : » A Gérard Le Gouic avec ce petit salut dans Combat cordialement « .
PLUIE
S’il pleuvait des gondoles
je serais gondolier,
S’il pleuvait des mains folles,
j’en ferais un collier.
S’il pleuvait des presqu’iles,
je leur conseillerais
d’élire domicile
dans mon livre secret.
S’il pleuvait des girafes,
je dirais « Equateur,
va changer d’orthographe
pour leur offrir des fleurs ! »
S’il pleuvait, ciel verbal,
ma chanson serait fraîche,
et tout neuf mon cheval.
Je vis de larmes sèches.
Alain Bosquet